Al Yasmina – Jasminum – ⵜⴰⵣⵏⵣⴰⵡⵜ – Contributions à l’étude de la flore du Maghreb & du Sahara
Al Yasmina 1 : 13 (2020)
Senna alexandrina Mill.
xénophyte tropical signalé
pour la première fois au Maroc
Abdelmonaim HOMRANI BAKALI & Jean-Paul PELTIER
Al Yasmina 1 : 13/1-7Senna alexandrina Mill. xénophyte tropical signalé pour la première fois au Maroc - 1/7
Contribution :
Senna alexandrina Mill. xénophyte tropical
signalé pour la première fois au Maroc
Senna alexandrina Mill. tropical xenophyte reported for the first time in Morocco
Abdelmonaim HOMRANI BAKALI* et Jean-Paul PELTIER**
* Centre régional de la recherche agronomique d’Errachidia, Maroc (abdelmonaim.homranibakali@inra.ma)
** 6 place de la Commune 38130 Echirolles, France (jpaul.peltier@gmail.com)
Reçu le 24/11/2020. Révisé le 10/12/2020. Publié le 11/12/2020
Citation : HOMRANI BAKALI A. & PELTIER J.-P. (2020). Senna alexandrina Mill. xénophyte tropical signalé pour la première fois au Maroc. Al Yasmimina 13 : 1-7.
web => https://alyasmina.org/alyasmina-2020/senna-alexandrina.html
pdf => https://alyasmina.org/alyasmina-2020/senna-alexandrina.pdf

Résumé.

La présence d’une petite population de Senna alexandrina Mill. est signalée pour la première fois au Maroc, proche de la ville d’Akka, province de Tata. Une brève description illustrée et la localisation géographique précise de Senna alexandrina Mill. sont présentées.

Abstract.

The presence of small population of Senna alexandrina Mill. is reported for the first time in Morocco, near the Akka city, province of Tata. A brief illustrated description and precise geographical location of Senna alexandrina Mill. are presented.

Keywords : Senna, Fabaceae, Akka, Morocco.

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Introduction

Le genre Senna Mill. compte actuellement environ 350 espèces réparties dans les régions tropicales et subtropicales, avec une plus grande diversité dans les Amériques, où environ 80% des espèces sont concentrées (Irwin & Barneby, 1982 ; Marazzi et al., 2006 ; Marazzi & Sanderson, 2010).

Auparavant, le genre Senna Mill. faisait partie du genre Cassia L. lato sensu. Il en a été séparé par Irwin & Barneby (1982) et ce vaste genre est maintenant divisé en trois genres distincts : Cassia L. sensu stricto, Senna Mill. et Chamaecrista Moench qui regroupent principalement des espèces tropicales, africaines, américaines et asiatiques.

En Afrique tropicale on a longtemps considéré le genre Cassia lato sensu et reconnu dans ce continent 64 espèces (Lebrun & Stork, 2008). Les études phylogénétiques confirment la monophylie du genre Senna Mill. (Marazzi et al., 2006) et placent le genre Cassia L. comme groupe frère (Bruneau et al., 2008). Ainsi, en Afrique tropicale, le genre Cassia L. sensu stricto ne comprend plus que 10 espèces.

La nouvelle classification moléculaire des Leguminosae (Azani et al., 2017) place le genre Senna Mill. dans les Caesalpinioideae, l'une des six sous-familles monophylétiques reconnues.

La flore pratique du Maroc (Fennane et al., 2007) rapporte l’existence d’une seule espèce dans le Pays, Senna italica Mill. dont la distribution est plutôt soudano-saharienne, du Maroc à l’Egypte et jusqu’en Israël (Fig. 1). Au Maroc, Senna italica Mill. se rencontre seulement dans la zone saharienne océanique (Fennane et al., 2007).

Figure 1 : carte de distribution de Senna italica Mill. (triangle blanc) et Senna alexandrina Mill. (rond noir) en Afrique tropicale. Point rouge : localisation de Senna alexandrina Mill. au Maroc. Sources : African Plant Database (2020)

Lors d'une étude floristique de la région d’Akka dans le sud du Maroc (20/11/2019), l’un de nous deux (A. H B) a repéré et collecté une espèce qui a été immédiatement reconnue comme appartenant au genre Senna, mais pas à Senna italica Mill. La plante a été déterminée en se basant sur la clé d’identification de Serrato Valenti (1971) : il s’agit de Senna alexandrina Mill.

Cette brève note donne la description très précise de l'espèce et sa géolocalisation dans le sud du Maroc.

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Description

La description se base sur l’analyse des échantillons frais collectés dans les environs d’Akka et ceux plantés dans la station expérimentale d’Errachidia.

Senna alexandrina Mill. Gard. Dict., ed. 8 n. 1 (1768)

Basionyme : Cassia senna L. Sp. Pl. 1 : 377 (1753)

Arbrisseau érigé-ascendant, suffrutescent, buissonnant, pouvant atteindre 120 cm de hauteur (Fig. 2-A). Tiges subcylindriques, brunes, les jeunes rameaux parfois subanguleux, vert pâle, éparsement couverts de poils apprimés et de poils glanduleux sessiles.

Feuilles 5-15 cm de long, paripennées, pétiolées ; pétiole subcylindrique, court (Fig. 2-J), coussinet foliaire (pulvinus), peu dilaté, étroitement sillonné sur la face interne, sans glande nectarifère, brièvement pubescent ; rachis sillonné, pubescent, se terminant par un petit mucron (spiculum) (Fig. 2-K) ; 3-10 paires de folioles, lancéolées, acuminées ou mucronées au sommet, concolores, glauques, jusqu’à 6,5 cm de long et 1,5 cm de large (ordinairement 4-7 fois plus long que large), cunéiformes à la base, éparsement couvertes de poils apprimés sur les deux faces, plus densément sur la face abaxiale ; nervure principale et 3-6 paires de nervures secondaires ascendantes proéminentes sur les deux faces (Fig. 2-L) ; stipules (Fig. 2-I) ascendantes ou étalées, lancéolées-subulées, 1,2-2 mm de long, base plus large ± 1 mm, rapidement caduques, présence parfois d’une glande nectarifère à la base de la surface adaxiale des stipules.

Fleurs bisexuées, zygomorphes, 5-mères, jaunes, groupées en grappes axillaires dressées (Fig. 2-B, 2-C), multiflores (ordinairement 10-30-fleurs, Irwin & Barneby, 1982), bractées à marges membraneuses, jaunâtres ou brunâtres (Fig. 2-D), obovales 5-8 x 4,5-6 mm, à base brièvement auriculées des deux côtés, caduques avant l’anthèse ; pédicelles florifères courts, un peu pubescents, 1-2 (-2,5) mm de long, surmontés d'un hypanthium (Fig. 2-E) en forme d'entonnoir étroit de 2,5 mm de long (souvent confondu avec une partie du pédicelle) ; sépales 5, subégaux, submembraneux, jaunâtres à marges pâles (Fig. 2-F), glabres ou papilleux-pubérulents, obovales ou oblong-lancéolés, 9-12 mm de long. Pétales 5, inégaux, glabres, jaunes ou jaune-orangé, parfois veinés de brun (Fig. 2-F), obovales à peine atténués à la base, 10-14 mm de long.

Etamines à filets glabres (Fig. 2-H), deux verticilles, étamines 10, dont trois antérieures, deux très longues, à anthères arquées et une moyenne à anthères droites, érigés (Fig. 2-F), quatre étamines moyennes et trois petites (stériles), à anthères droites ou presque droites ; anthères toutes linéaires, poricides, jaune brun ± sagittées à la base, plus longues que leur filet pour les longues et moyennes étamines et plus petites que leur filet pour les petites étamines.

Ovaire densément strigueux, 6-10 ovules, style glabre (Fig. 2-G), linéaire-filiforme, uniformément incurvé à partir de la base, parfois un peu épaissi au niveau ou juste en dessous du stigmate tronqué obliquement, 0,2-0,25 mm de diamètre.

Gousse étalée, plate, largement oblongue ou oblongue-elliptique, droite ou légèrement incurvée (Fig. 2-M), 4-6 x 1,5-2 cm de long, arrondie aux deux extrémités, brièvement stipitée à la base, noirâtre à maturité, à poils fins apprimés caduques et poils glanduleux sessiles, sans crêtes longitudinales, obliquement aristée par le style au sommet (Fig. 2-N).

Graines ordinairement 6-7, c. 4-7 x 3.5-5 mm, comprimées parallèlement aux valves, obovales-cunéiformes (Fig. 2-O), rétuses au sommet, brusquement atténuées à la base, chagrinées, luisantes, à faces pourvues au-dessous du milieu d'une fovéole oblongue verticale.

On fait régulièrement la confusion entre Senna alexandrina et Senna italica, mais leurs feuilles et leurs gousses (Fig. 3) sont faciles à distinguer : la première espèce possède des folioles moins larges et des gousses ne portant pas une rangée de crêtes. Est-ce pour cette raison que la présence de Senna alexandrina Mill. au Maroc n’était jusqu’à présent pas signalée ?

La clé de détermination du genre Senna de la flore pratique du Maroc (Fennane et al., 2007) devient :

  • Folioles obovales 1.4-2.5 fois plus long que large, très obtuses. Gousse aplatie portant une rangée de crêtes orientée parallèlement à son grand axe, interrompue entre les graines => Senna italica
  • Folioles lancéolées 4-7 fois plus longues que larges, aiguës, mucronées. Gousse aplatie sans rangée de crêtes longitudinales => Senna alexandrina

La présence de glandes nectarifères chez le genre Senna est bien connue et la diversité de leur position sur la plante est grande (Marazzi et al., 2013). Plus exceptionnelles, sont celles situées à la base des stipules : elles sont exclusives des espèces appartenant à l’un des sept clades reconnus par les analyses phylogéniques moléculaires du genre Senna, le clade II très précisément (Marazzi et al., 2013) et représentent vraisemblablement une nouvelle synapomorphie.

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Figure 2 : Senna alexandrina Mill. ; A : arbuste en floraison ; B : inflorescence ; C : fleurs ; D : bractée ; E : pédicelle et hypanthium ; F : pièces florales ; G : ovaire et style ; H : androcée et style ; I : stipule et glande nectarifère extraflorale ; J : feuille ; K : petit mucron (spiculum) à la base de la dernière paire de folioles ; L : différentes tailles des folioles ; M : gousse ; N : gousse obliquement aristée par le style au sommet ; O : graine.


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Senna alexandrina

Senna italica (Photo A. Garcin)

Figure 3 : Comparaison des gousses de Senna alexandrina et Senna italica



Régénération de Senna alexandrina à Akka

Port d'un pied perenne

Port de Senna alexandrina

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Ecologie et distribution au Maroc

Senna alexandrina forme une petite population d’environ 50 individus (20/11/2019) située dans le village d’Ait Ourir juste avant Kasbat Abdellah Ben M’Barek de la ville d’Akka (Fig. 4), ce qui du point de vue phytogéographique la place dans le Maroc saharien ouest désertique (Fennane et al., 2007). Pour expliquer sa présence, on peut faire l’hypothèse que des graines ont été incorporées accidentellement aux folioles qui sont importées au Maroc de l’Égypte et de I'Inde (Bellakhdar, 1997). Actuellement, les sujets se propagent graduellement le long des ravins qui prolongent la décharge. La géolocalisation de la population est 29° 25' 23'' N 8°16' 7'' O. Malgré une recherche attentive aucune autre population de cette espèce n’a été découverte dans la région. Pour le moment, ce xénophyte tropical n’a pas un comportement d’envahisseur, car les plants de Senna occupent des niches écologiques laissées vacantes le long des ravins caillouteux où peu d’espèces autochtones existent.

Figure 4 : localisation de Senna alexandrina Mill.
(source : divisions géographiques du Maroc, Fennane et al. 2007)

Utilisations médicinales

Le séné (Senna alexandrina) est une plante originaire des zones désertiques de la péninsule arabique et d'Afrique, déjà utilisée au IXe siècle par les médecins arabes. Le séné tire d'ailleurs son nom de l'arabe "sana". Senna alexandrina est une plante médicinale utilisée en phytothérapie par les Marocains comme laxatif (Bellakhdar, 1997 ; Ouhaddou et al., 2015). Les folioles sont depuis longtemps importées au Maroc de l’Egypte et de l'Inde (Bellakhdar, 1997).

La plante contient des principes actifs, comme les dérivés naturels de l'anthraquinone, qui stimulent le péristaltisme du gros intestin et accélèrent le transit. Les feuilles sont riches en flavonoïdes, en dérivés naphtaléniques et en anthracénique B, tandis que les gousses sont riches en sennosides (Batanouny et al., 1999 ; Bekri, 2017). Feuilles et gousses sont également utilisées pour les hémorroïdes, épilepsie, troubles dermatologiques, maladies respiratoires, infections cutanées, migraine et maladies cardiaques (Batanouny et al., 1999 ; Srivastava et al., 2006).

Conclusion

Senna alexandrina est peut-être une espèce qui peut offrir une alternative pour la réhabilitation des écosystèmes sahariens dégradés et une opportunité d'expansion de culture commerciale dans les zones oasiennes du Sahara ?

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Références

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