Richesse et fragilité
madoui.amar@courrier.uqam.ca, amar.madoui@gmail.com
Résumé
La forêt algérienne continue à être victime de l’insouciance des citoyens par leurs diverses actions destructrices et irréfléchies. Les incendies volontaires, le pâturage excessif et non contrôlé et essentiellement les délits de coupes sur des essences dont les superficies sont déjà réduites et en régression, sont à citer en premier.
La forêt de Babor, à l’instar de la majorité des forêts algériennes, continue à subir des délits de coupes inquiétants sur l’arbre noble du Maghreb, le Cèdre de l'Atlas, depuis plus de quatre décennies. Ces coupes ont atteint ces dernier temps l’habitat de la Sittelle Kabyle.
À travers cette contribution illustrée, nous essayons de tirer la sonnette d’alarme pour rappeler aux forestiers et aux décideurs la nécessité d'une intervention urgente, efficace et sincère afin de mettre fin à ces pratiques et de préserver cette forêt qui abrite une richesse floristique et faunique unique de son genre en Algérie et qui ne cesse de nous révéler de plus en plus son caractère de zone importante pour les plantes.
Mots clés : Conservation, Biodiversité, Endémiques, Cedrus atlantica, Abies numidica, Sitta ledanti, Tababort, Petite Kabylie
Abstract
The Algerian forest continues to be the victim of the carelessness of citizens through their various destructive and rash actions. Arson, excessive and uncontrolled grazing and essentially cutting crimes on trees whose areas are already reduced and in decline are to be mentioned first.
The Babor forest, like most Algerian forests, continues to suffer disturbing cutting crimes on the noble Maghreb tree, the Atlas Cedar, for more than four decades and has recently reached the habitat of the Kabyle Sittelle.
Through this illustrated contribution, we are trying to sound the alarm to remind foresters and decision-makers of the need for an urgent, effective and sincere intervention in order to put an end to these practices and to preserve this forest which is home to a wealth unique flora and fauna of its kind in Algeria and which continues to disclose to us more and more its character of important area for plants.
Key words : Conservation, Biodiversity, Endemics, Cedrus atlantica, Abies numidica, Sitta ledanti, Tababort, Lesser Kabylia.
Introduction
C’est un fait avéré que la forêt méditerranéenne a connu un impact anthropique très fort au cours de son histoire. Le maintien et la mise en place de nombreuses espèces végétales a été l’œuvre de l’homme à travers ses activités quotidiennes et (ou) saisonnières. Parmi ces activités, le feu (Kunholtz-Lordat, 1938, 1952 ; Le Houérou, 1974 et Madoui, 2002), le pâturage (Le Houérou, 1980) et les coupes illicites sont les plus importantes.
Si le feu et le pâturage et même les coupes pour les besoins domestiques par la population riveraine étaient des pratiques courantes, leur accentuation pour d’autres usages est récente. L'ampleur des modifications causées par ces activités est parfois difficile à cerner à cause de leur cumul à travers le temps.
Tout le système forestier porte des traces, récentes ou anciennes, de l’action de l’homme et presque aucune région du bassin méditerranéen ne lui a échappé. L’impact destructeur est parfois irréversible dans plusieurs djebel de l’Algérie.
À titre d’exemple au niveau local, le djebel Megriss à Sétif (nord-est d’Algérie) est un bon exemple d’un total déboisement non contrôlé (Baudicour, 1860) et pourtant, il représente une zone très importante pour les plantes (Boulaacheb & al., 2010 ; Madoui & al., 2017 ; Madoui & Vela, 2020).
Bien que la superficie forestière des pays du revers septentrional du bassin méditerranéen tende globalement à s'accroître durant les dernières décennies, les pays de la rive sud montrent, quant à eux, une destruction accélérée de leur capital forestier (Quézel & Barbero, 1990, Madoui & Gehu, 1999).
L’ampleur de la dégradation ne cesse de s’amplifier, étant accentuée par les incendies volontaires (Madoui 2002) et le phénomène de dépérissement à cause de la sécheresse constaté sur le Cèdre de l’Atlas, que ce soit à Bou-Taleb (Madoui, 1995), dans les Aurès et à Belezma (Bentouati, 2008 ; Kherchouche & al., 2013).
Le cas de l’Algérie
À travers le temps, parmi les forêts méditerranéennes, la forêt algérienne est l'une de celles qui ont subi l'action de l'homme de la manière la plus spectaculaire. Sa superficie forestière, qui est passée d’une superficie potentielle de sept millions d'hectares (7.318.000 ha selon Maire, 1925 et Peyerimhoff, 1941) à moins de trois millions à l'état actuel, ne fait que confirmer cette réalité. Le taux de boisement serait passé de 27% à 11%. Avant l'invasion des arabes, la forêt algérienne pouvait couvrir 5.500.000 ha (de Beaucoudrey, 1938). L'historien Ibn Khaldoun cite dans ses écrits que pendant les débuts de l'occupation arabe, on pouvait aller de Tripoli au Maroc en cheminant sous une voûte continue d'ombrage. En 1830, selon certaines estimations, il devait rester encore 4.000.000 ha. En 1916, la superficie totale du domaine forestier excédait de peu 3 millions d'hectares, ce qui est légèrement supérieur à 1955 où on ne comptait plus que 3,289 millions d'hectares (Boudy, 1955). Or, la superficie totale actuelle du domaine forestier algérien ne peut dépasser les 2,5 millions ha, dont 1,8 million ha fortement dégradés (Tableau I). Les récents inventaires forestiers basés sur des données satellitaires, qui ne sont pas encore rendus publics, auraient estimé la couverture forestière de l’Algérie plus importante en raison des reboisements.
Les causes de cette déforestation en Algérie sont multiples et ne datent pas d’aujourd’hui, même si Battandier & Trabut (1898) reconnaissent que les Arabes avaient laissé un magnifique domaine forestier. Les plus importantes causes peuvent être citées :
Les forêts de chêne Zéen et de Cèdre, dont le bois a été utilisé notamment pour les traverses de chemin de fer, ont été sérieusement appauvries par les exploitations abusives pratiquées durant la période qui a suivi la conquête de l’Algérie (Marc, 1916). On parlait de pieds de Cèdres à Teniet-el-Had de 18 à 20 m de hauteur et de 5 à 6 m de tour (Behaghel, 1865).
En s’accaparant les meilleures terres agricoles, la colonisation a été une cause directe qui a obligé les paysans à se réfugier de plus en plus à l'intérieur des forêts de montagnes et par conséquent, à accentuer davantage son exploitation pour leur survie. Dans la majorité des cas c’était au dépend de sa pérennité. La réplique des riverains à cette injustice se faisait souvent par la mise à feu (Violard, 1926 in Aouadi, 1989).
Cette situation a eu par la suite une répercussion durable sur la forêt algérienne, notamment parles aspects suivants :
L'extension de la céréaliculture au dépend des espaces boisés et le surpâturage ont souvent contribué à la disparition de la forêt sur pente en favorisant l'érosion et en entravant ainsi toute possibilité de reconstitution forestière.
Les incendies répétés, pratiqués dans le but de favoriser d'utilisation agricole et pastorale (Madoui, 2002), suivis souvent par le pâturage, ont anéanti de nombreuses forêts algériennes en empêchant leur régénération, avec pour conséquence la dénudation de superficies considérables qui autrefois étaient verdoyantes.
La demande accrue en produits ligneux, particulièrement durant la période de 1939 à 1946 par les colons français, a rendu la forêt incapable de satisfaire toutes ces exigences qui dépassaient ses capacités. Ceci a provoqué la disparition de plus d'un million d'hectares de forêts (Boudy, 1955).
Ces facteurs ont provoqué une réduction certaine de la superficie boisée, comme il a été démontré dans la forêt de Bou-Taleb (Madoui & Gehu, 1999), et une inquiétude pour celles qui n'arrivaient plus à se régénérer et qui étaient vouées à la disparition. Selon Boudy (1955), 25 à 30% de l'armature forestière algérienne a régressé en 120 ans, essentiellement dans les montagnes (Tab. 1). Cette régression a été accentuée pour les essences qui n'arrivaient plus à se régénérer (ex. Chêne liège) ou pour celles se trouvant à leurs limites de distribution, telles que Abies numidica, Cupressus dupreziana (Abdoun & Beddiaf, 2002), Juniperus thurifera (Beghami & al., 2013), etc. et qui sont menacées de disparition.
Essences | Surface climacique | Surface en 1955 | % de diminution | Surface en 2002 (DGF) |
---|---|---|---|---|
Pin d'Alep | 1.290 | 852 | 34% | 864 |
Pin maritime | 13 | 12 | 8% | 58 |
Chêne vert et Chêne Kermès | 1.807 | 700 | 61% | 433 |
Chêne liège | 1.192 | 425 | 64% | 358 |
Chêne zéen et chêne afarès | 82 | 66 | 19% | 47 |
Cèdre de l'Atlas | 128 | 30 | 76% | 37 |
Thuya | 521 | 157 | 70% | 59 |
Genévrier rouge et oxycèdre | 502 | 290 | 42% | 255 |