de l’illustration botanique :
Anastatica hierochuntica,
La Rose de Jéricho
Anastatica hierochuntica, La Rose de Jéricho
Comment représenter une plante ?
Les techniques sont multiples ; la première image, c’est celle que son nom évoque par comparaison, par association d’idée ; la seconde c’est la plante elle même, séchée et fixée sur une feuille de papier pour former un exsiccata. Puis viennent le dessin au trait, le dessin rehaussé de couleurs et aujourd’hui la photographie.
Les images verbales des botanistes arabes
Anastatica hierochuntica est une petite plante du désert. Verte, elle forme une rosette plaquée sur le sol. Lorsqu’elle sèche ses tiges se recourbent vers l’intérieur. Les botanistes arabes lui ont donné plusieurs noms qui comparent ses tiges recourbées aux doigts d’une femme ou aux serres d’un faucon.
Les premières gravures au temps des débuts de l’imprimerie
Avec la Renaissance apparaissent les premiers livres de botanique imprimés et illustrés de gravures sur bois. L’image ci-dessus est tirée du Plantarum seu stirpium icones de Lobel (1581).
A gauche la plante sèche est parfaitement représentée. Cette plante était bien connue en Europe car les pélerins la rapportaient de Palestine, d’où son nom de «Rose de Jéricho».
Lorsque la plante sèche est mise à tremper dans l’eau, ses branches se rouvrent ; puis lorsque la plante sèche à nouveaux, elles se referment.
Les chrétiens y voyaient un symbole de renaissance après la mort et plus tard elle recevra le nom scientifique de anastatica, ce qui veut dire résurrection en grec.
Pour le coup l’image de droite représente une plante couverte de feuilles, ce qui est tout à fait contraire à la réalité.
L’artiste de l’époque ne pouvait pas savoir que cette plante est annuelle et que même si ses tiges s’ouvrent et se ferment avec l’humidité, elle ne reverdit jamais.
C’est un premier biais des dessins : les artistes dessinent parfois davantage ce qu’ils savent (ou croient savoir) plutôt que ce qu’ils voient. Et inversement, ils peuvent omettre de figurer des détails importants qu’ils n’ont pas remarqués.
A partir de la fin du XVIe siècle, les princes et les rois font établir autour de leur château des jardins d’agrément où sont transplantées toutes sortes de plantes exotiques rapportées par les expéditions maritimes qui sillonnent les océans.
Les artistes peuvent alors dessiner les plantes d’après des spécimens vivants.
Le dessin de gauche est dessiné d’après une plante vivante, dont les fruits portent encore des «petites ailes» qui tombent lorsque la plante libère ses graines.
Le dessin de droite montre un plante avec des tiges élancées et aérées ; cette modification de port est vraisemblablement due à la différence de climat entre les déserts d’origine et la fraîcheur humide de l’Allemagne.
L’industrialisation de l’imprimerie et l’âge d’or des livres botaniques
A partir du XIXe siècle, les progrès de l’imprimerie (gravure sur acier, lithographie) vont permettre d’éditer à des prix raisonnables des livres pour un large public.
Ce pied est là pour illustrer ce qui a été rapporté par des voyageurs : «A la bonne saison, des milliers de ces boules végétales poussées par les vents filent au travers des plaines, roulant, bondissant à grand bruit, à la stupéfaction du cheval et de son cavalier»...
Et de s’émerveiller devant cette adaptation qui permettrait à la Rose de Jéricho de diffuser ses graines sur de longues distances.
Cette histoire a été répétée de livres en livres par les auteurs les plus dignes de confiance, depuis De Candolle au XIXe jusqu’à Ozenda au XXe siècle dans sa Flore du Sahara.
Sauf que cette histoire n’est qu’une légende ! Anastatica est solidement fiché en terre par sa racine pivot. Ses adaptations pour diffuser ses graines sont encore plus surprenantes. Les pieds déracinés que l’on trouve dans le commerce, l’ont été par des bergers qui collectent cette plante pour le compte des herboristes.
La vérité sur la dispersion des graines d’Anastatica, on peut commencer à l’entrevoir dans la planche n°4400 qu’une revue anglaise, le Curtis’s Botanical Magazine va consacrer à «Rose of Jericho» dans sa livraison d’octobre 1848.
C’est un ouvrage sérieux dont les dessins sont exécutés d’après nature «Our figures are made in part from specimens out of Mr. Borrer’s garden, at Henfield, and in part from the Royal Garden of Kew»
.
Le Curtis’s reprend à son compte la légende des «plantes roulantes», mais il donne pour la première fois des dessins très précis des fruits.
La planche est réalisée dans le «grand style» du XIXe siècle : la plante est représentée en entier, en couleur (et même ici deux fois pour l’état vif et l’état sec) et tout autour il y a des dessins gravés en noir qui détaillent l’anatomie de la fleur et du fruit aux différents stades de leur croissance.
Pour des raisons d’encombrement et d’esthétique, les dessins de détail sont disposés sans ordre logique dans les espaces laissés libres par la plante en pied. La compréhension de ces détails est encore compliquée par le fait que les légendes ne figurent pas sur la planche mais sur une autre page (en effet à l’époque et jusqu’à la fin du XXe siècle les dessins n’étaient pas imprimés sur les mêmes presses et donc sur les mêmes pages que les textes).
Une magnifique planche gravée gravée sur acier, caractéristique des encyclopédies botaniques de la fin du XIXe et du début du XXe.
Dans cette planche il réunit notre crucifère Anastatica hierOchuntica et Odontospermum pygmaeum, une composée aujourd’hui nommée Pallenis hierIchuntica.
Pourquoi un O et un I ?
Il faut croire que la botanique qui est souvent une science inexacte, sait aussi être parfois une science pas très logique...
Mais ce rapprochement, lui, a une logique : dans les deux cas, en présence d’humidité, une partie de la plante se déforme (les tiges pour l’une, les bractées pour l’autres) et ouvre la voie à la libération des graines ; a contrario lorsque l’aridité revient la déformation de la plante s’inverse et contribue à protéger les graines.
La contrepartie de cette adaptation est que les graines ne sont pas toutes libérées en une seule fois, mais peu à peu, sur plusieurs années. Dans des climats aussi irréguliers et imprévisibles que ceux des déserts c’est un grand avantage.
Voici le calque original de la planche dessinée par Nelly Paté pour la Flore de l’Afrique du Nord de René Maire.
On perçoit comment travaillait cette dessinatrice : elle commençait par un dessin inversé au crayon au dos du calque, puis elle retournait son calque et retraçait les dessins avec une encre noire.
On constate que les deux dessins de plante en pied sont recopiés sur Engler.
Les détails sont disposés sans ordre très apparent.
La planche est imprimée en photogravure sur la même presse que le texte. La finesse du rendu du dessin est moins bonne, mais l’avantage c’est que les légendes sont juste en dessous de l’image.
Dans le texte de sa Flore, Maire donne une indication précieuse : «les silicules ne s’ouvrent que mouillées par la pluie»
.
Patience, il n’y a plus à attendre qu’une quarantaine d’années pour que Théodore Monod explique comment les silicules expulsent leurs graines lorsqu’il pleut.
Au premier abord c’est un travail assez intimidant car le texte en est très technique et peu abordable par un non-initié.
Quant aux dessins, il sont précis, même s’ils n’ont pas la qualité artistique de Curtis’s.
La lecture de cet ouvrage est d’autant plus ardue que les planches sont regroupées à la fin du livre, donc loin de leur texte, et que les légendes sont imprimées au dos des planches, ce qui était la pire des solutions possibles.
Mais pour l’explication finale, laissons parler Monod :
La pluie intervient dans le déclenchement de la déhiscence
Et la photographie ?
Quels sont les points forts et quels sont les points faibles de la photographie ? L’ère du dessin botanique est-elle révolue ?
+++ La photographie est irremplaçable pour décrire les milieux dans lesquels vit une plante.
-- Mais attention, une photo ne prouve rien car une plante peut vivre dans différents milieux.
+++ Une bonne photo peut donner une image immédiatement reconnaissables d’une plante ...
-- ... mais dans certains genres la photo ne permet pas de distinguer des espèces proches.
+++ La photo peut bien rendre la couleur, la texture, la pilosité d’une plante ...
-- ... mais la photo rend plus difficilement compte des détails intimes d’une fleur ou d’un fruit.
Deux conclusions
+++ Exsiccata, dessins botanique au trait et photographie sont des outils complémentaires
-- La photographie rend parfois des services ambigus à la botanique, car s’il faut beaucoup de temps pour faire un bon dessin, il en suffit de très peu pour faire une mauvaise photo !