Morphologie comparée des Eruca du Maroc oriental
Comparative morphology of the Eruca of eastern Morocco
La morphologie des Eruca a été intensivement étudiée par Gomez-Campo en Espagne avec trois textes particulièrement intéressants :
- Gomez-Campo C., 1993 - Notice des Eruca dans Flora iberica IV
En 1993 Gomez-Campo regroupe tous les taxons décrits avant lui en une seule espèce polymorphique qu'il nomme Eruca vesicaria. A cette époque il refuse de distinguer des taxons infra-spécifiques car "Cuando se atiende a este carácter en plantas secas, las observaciones dependen en gran medida del momento en que se herborizó la planta ; en consecuencia, las determinaciones infraespecíficas basadas en tal carácter son verdaderamente caóticas. "
(Nous reviendrons plus tard sur la difficulté, voire l'impossibilité, de déterminer précisement la plupart des planches d'herbier comme la plupart des photos d'Eruca). - Gomez-Campo C., 2003 - Morphological characterisation of Eruca vesicaria germplasm
En 2003 Gomez-Campo relance l'étude de ce qu'il considère être des taxons infra-spécifiques de Eruca vesicaria en mettant en culture 104 accessions de roquettes en plein champs. Cette étude lui permet de décrire morphologiquement 3 sous-espèces, sativa, vesicaria et pinnatifida, par contre il ne réussit pas à séparer longirostris de sativa et vesicaria. - Pignone D. & Gomez-Campo C., 2011 - Eruca, in C. Kole (ed.), Wild Crop Relatives : Genomic and Breeding Resources, Oilseeds
En 2011 Gomez-Campo écrit avec Pignone un article fondateur sur les utilisations agronomiques du genre Eruca. A cette époque ils sont toujours dans l'idée d'une espèce unique subdivisée en 3 sous-espèces : vesicaria dépourvue d'usages, sativa cultivée comme salade fraîche en Europe ou pour ses graines oleagineuses en Asie et pinnatifida nord-africaine.
The morphology of Eruca has been intensively studied by Gomez-Campo in Spain with three particularly interesting texts :
- Gomez-Campo C., 1993 - Eruca record in Flora iberica IV
In 1993 Gomez-Campo regrouped all the taxa described before him into a single polymorphic species which he called Eruca vesicaria . At that time he refused to distinguish infra-specific taxa because "Cuando se atiende a este carácter en plantas secas, las observaciones dependen en gran medida del momento en que se herborizó la planta ; consequently, las determinaciones infraespecíficas basadas en tal charácter son verdaderamente caóticas."
( We will come back later on the difficulty, if not the impossibility, of determining precisely most of the herbarium plates like most of the photos of Eruca ). - Gomez-Campo C., 2003 - Morphological characterization of Eruca vesicaria germplasm
In 2003 Gomez-Campo relaunched the study of what he considers to be infra-specific taxa of Eruca vesicaria by cultivating 104 rocket accessions in the open fields. This study allows him to morphologically describe 3 subspecies, sativa, vesicaria and pinnatifida , on the other hand he does not succeed in separating longirostris from sativa and vesicaria. - Pignone D. & Gomez-Campo C., 2011 - Eruca, in C. Kole (ed.), Wild Crop Relatives : Genomic and Breeding Resources, Oilseeds
In 2011 Gomez-Campo wrote a seminal article with Pignone on the agronomic uses of the Eruca genus. At this time they are still in the idea of a single species subdivided into 3 subspecies : vesicaria devoid of uses, sativa cultivated as a fresh salad in Europe or for its oil seeds in Asia and pinnatifida from North Africa.
L'étude des Eruca dans un contexte européen en s'appuyant sur l'étude des exsiccatas ou de plantes cultivées ne permettait sans doute pas d'aller plus loin que de distinguer 3 ou 4 sous-espèces dans l'agrégat Eruca vesicaria. L'étude des Eruca sur le terrain en Afrique du Nord change complètement la donne puisqu'elle permet de distinguer d'entrée de jeu quatre taxons candidats à être des "bonnes espèces" dans l'Est marocain, taxons que nous allons d'abord comparer avant d'en donner plus loin des notices détaillées.
Les comparaisons qui viennent portent sur les populations que nous avons étudiées dans l'Est du Maroc ; des populations des mêmes espèces dans d'autres régions pourraient bien entendu différer par tels ou tels de leurs caractères.
The study of Eruca in a European context based on the study of exsiccatas or cultivated plants probably did not allow our predecessors to go further than distinguishing 3 or 4 subspecies in the aggregate Eruca vesicaria . The study of Eruca in the field in North Africa completely changes the situation since it makes it possible to distinguish four taxa candidates to be "good species" in eastern Morocco, taxa that we will first compare before giving detailed notices later.
The comparisons which come relate to the populations that we have studied in eastern Morocco ; populations of the same species in other regions could of course differ in some of their characters.
Les racines - The roots
Les racines sont organisées autour d'un pivot d'une dizaine de centimètres de long. Elles sont adaptées pour capter l'eau en surface après la pluie. Elles n'ont pas un rôle de réserve marqué.
The roots are organized around a pivot about ten centimeters long. They are suitable for collecting surface water after rain. They do not have a marked reserve role.
Les rosettes émergentes - The emerging leaf rosettes
Ces Eruca germent juste après les premières pluies d'hiver ou de début de printemps. Elles émettent une première rosette de feuilles et aussitôt une tige fleurie très précoce. Cette adaptation se retrouve chez beaucoup d'annuelles des milieux arides et désertiques et permet de produire au moins un minimum de graines si la pluie qui a fait germer les graines est suivie par une longue période aride.
Noter comment les rosettes émergentes des trois roquettes jaunes se ressemblent beaucoup !
Dès le stade rosette les feuilles ont un goût et une odeur caractéristique de roquette ; ce goût et cette odeur se renforcent quand les feuilles grandissent puis disparaissent lorsqu'elles se dessèchent.
Les feuilles vert-glauque, charnues, parfois entières de E. foleyi se distinguent des feuilles vert-vif, plus minces et profondément découpées des roquettes à fleurs jaunes.
These Eruca germinate just after the first rains in winter or early spring. They emit a first rosette of leaves and immediately a very early flowering stem. This adaptation is found in many annuals in arid and desert environments and makes it possible to produce at least a few seeds if the rain which made the seeds germinate is followed by a long arid period.
Note how the emerging rosettes of the three yellow rockets look very similar !
From the rosette stage the leaves have a characteristic rocket taste and odor ; this taste and smell is reinforced when the leaves grow larger and then disappears when they dry out.
The fleshy, sometimes entire, glaucous-green leaves of E. foleyi are different from the bright-green, thinner, deeply indented leaves of the yellow flowering rockets.
Le port - The habit
Le port est un excellent critère pour reconnaitre E. pinnatifida à sa grande rosette basale, ses longues tiges florales verticales, rameuses et feuillées seulement à la base.
The habit is an excellent criterion for recognizing E. pinnatifida with its large basal rosette, its long vertical floral stems, branched and leafy only at the base.
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E. aurea a des tiges rameuses, garnies de feuilles caulinaires et un port "en boule".
E. aurea has branchy stems, topped with cauline leaves and a "ball" habit.
Les tiges - The stems
Les tiges de E. longirostris sont de couleur rougeâtre ; elles sont couvertes de poils courts assez denses et de poils longs espacés.
The stems of E. longirostris are reddish in color ; they are covered with fairly dense short hairs and spaced long hairs.
Les tiges de E. pinnatifida sont vert-clair ; sur 10 ou 15cm à la base elles sont recouvertes de longs poils blancs, puis elles sont lisses et glabres sur le reste de leur hauteur. Certaines clefs donnent comme critère que les tiges de E. pinnatifida seraient fistuleuses et s'écraseraient facilement en les serrant entre les doigts. Ce critère est inconstant.
The stems of E. pinnatifida are light green ; on 10 or 15cm at the base they are covered with long white hairs, then they are smooth and hairless over the rest of their height. Some keys give as a criterion that the stems of E. pinnatifida would be fistulous and easily crushed by squeezing them between the fingers. This criterion is inconstant.
Les tiges de E. foleyi sont vertes et glabres sur toute leur hauteur.
The stems of E. foleyi are green and hairless throughout their height.
Les tiges de E. aurea sont variables : elles peuvent être épaisses, fistuleuses, glabre et vert-clair à la base, puis fines, rameuses, plus ou moins rougeâtres ou verdâtres en hauteur.
The stems of E. aurea are variable : they can be thick, fistulous, glabrous and light green at the base, then thin, branched, more or less reddish or greenish in height.
Les feuilles basales - The basal leaves
Les feuilles sont longues, lancéolées ou oblongues. Leurs découpures sont variables et ne constituent pas un critère de détermination.
The leaves are long, lanceolate or oblong. Their cutouts are variable and do not constitute a criterion of determination.
Les feuilles caulinaires - The stem leaves
Les feuilles caulinaires sont un meilleur critère de détermination que les feuilles basales. Elles peuvent prendre un développement important et remplacer les feuilles basales qui dépérissent sous leur ombre, sauf dans le cas de E. pinnatifida qui n'a le plus souvent qu'un petit nombre de petites feuilles caulinaires appliquées sur la base de la tige.
Stem leaves are a better criterion of determination than basal leaves. They can take extensive development and replace the basal leaves which wither under their shade, except in the case of E. pinnatifida which most often has only a small number of small stem leaves applied to the base of the stem.
Les sommités fleuries - The flowering tops
Eruca pinnatifida se distingue par ses longues grappes fleuries avec une grappe de boutons pas encore ouverts qui domine les fleurs épanouies. Dans les autres espèces les boutons terminaux sont cachés derrière les dernières fleurs épanouies.
Eruca pinnatifida is distinguished by its long flowering clusters with a cluster of not yet open buds that dominate the open flowers. In other species the terminal buds are hidden behind the last blooming flowers.
Le calice - The calyx
Les calices des trois espèces de roquettes jaunes sont très semblables. On note que dans ces 4 espèces les pétales sont veinés par un réseau de vaisseaux violets ou bruns ; c'est une des caractériqtiques du genre Eruca.
The calyxes of the three species of yellow rockets are very similar. We note that in these 4 species the petals are veined by a network of purple or brown vessels ; it is one of the characteristics of the Eruca genus.
La corolle - The corolla
Les corolles des trois espèces de roquettes jaunes sont très semblables. La plupart des photos classées sous Eruca que l'on peut voir dans des sites collaboratifs comme inaturalist.org sont des gros plans de corolle qui ne donnent guère d'indication et même parfois ne permettent pas de faire la différence avec le genre Erucastrum.
The corollas of the three species of yellow rockets are very similar. Most of the photos classified under Eruca that can be seen in collaborative sites like inaturalist.org are close-ups of corolla that give little indication and even sometimes do not allow to make the difference from the genus Erucastrum .
Les tiges fructifiées - The fruiting stems
Dans le genre Eruca, comme le plus souvent chez les Brassicaceae, ce sont les tiges fructifiées et la morphologie des graines qui permettent les déterminations les plus précises. Mais, attention ! Dans le genre Eruca les siliques ne mûrissent pas tant que la tige continue à émettre des boutons floraux. On trouve donc en haut des tiges, juste sous les fleurs, des petites siliques à peine plus grandes que l'ovaire de la fleur, puis en descendant des siliques de plus en plus longues, mais dont même les plus inférieures n'ont pas encore terminé leur croissance. Au cours de cette croissance les dimensions relatives du pédoncule, de la partie valvaire et du rostre varient en permanence. Toutes les clefs de détermination anciennes basées sur les dimensions des siliques aboutissent alors aux résultats "chaotiques" que dénonçait Gomez-Campo.
Les tiges qui comportent des fleurs et des siliques sont riches d'information, mais elles doivent être utilisées prudemment. La morphologie des siliques et des graines ne peut être valablement étudiées que sur des tiges sèches lorsque les siliques mûres commencent à s'ouvrir spontanément.
In the Eruca genus, as most often in Brassicaceae , it is the fruiting stems and the morphology of the seeds which allow the most precise determinations.
But beware ! In the Eruca genus the pods do not ripen as long as the stem continues to emit flower buds. We therefore find at the top of the stems, just under the flowers, small pods barely larger than the ovary of the flower, then on descending increasingly long pods, but of which even the lowest have not yet completed their growth.
During this growth the relative dimensions of the peduncle, the valve part and the rostrum vary constantly. All the old keys of determination based on the dimensions of the pods then lead to the "chaotic" results denounced by Gomez-Campo.
Stems with flowers and pods are rich in information, but should be used with care. The morphology of pods and seeds can only be validly studied on dry stems when the mature pods begin to open spontaneously.
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Les siliques de E. longirostris se reconnaissent 1) à leur rostre triangulaire dont la longueur peut varier entre au moins la moitié et au plus le double de la longueur des valves et 2) aux poils courts inclinés vers le bas qui recouvrent les valves.
The siliques of E. longirostris can be recognized by 1) their triangular rostrum, the length of which can vary between at least half and at most twice the length of the valves and 2) by the short downward sloping hairs that cover the valves. p>
Les tiges fructifiées de E. pinnatifida peuvent devenir très longues, de 1 à 2m ; les fleurs puis les siliques sont beaucoup moins espacées que dans les autres espèces.
The fruiting stems of E. pinnatifida can become very tall, from 1 to 2m ; the flowers then the siliques are much less spaced than in the other species.
Les siliques de E. foleyi sont plus allongées que celles des autres espèces, mais la structure est bien la même avec une partie valvaire prolongée par une partie stylaire triangulaire dépourvue de graines.
The siliques of E. foleyi are more elongated than those of the other species, but the structure is very much the same with a valve part extended by a triangular stylar part devoid of seeds.
Les tiges fructifiées de E. aurea sont assez semblables à celles de E. longirostris, mais la longueur du rostre reste inférieure à celle des valves et les valves sont glabres.
The fruiting stems of E. aurea are quite similar to those of E. longirostris, but the length of the rostrum is less than that of the valves and the valves are glabrous.
Les graines - The seeds
Les hasards de la météo et les restrictions de déplacement dues au Covid19 ne nous ont pas encore permis de photographier les graines mûres de E. longirostris. Tout au plus pouvons nous dire qu'elles ne sont pas très nombreuses (moins de 20 pour chaque valve), relativement grosses et encerclées par une petite aile.
Chances of the weather and travel restrictions due to Covid19 have not yet allowed us to photograph the ripe seeds of E. longirostris . At most we can say that they are not very numerous (less than 20 for each valve), relatively large and surrounded by a small wing.
La petitesse des graines de E. pinnatifida est un critère qui a été noté de longue date par les botanistes. Ces graines sont nombreuses (plus de 40 pour chaque valve), plus ou moins ovoïdes, et mesurent entre 0.8 et 1.2mm.
The smallness of the seeds of E. pinnatifida is a criterion that has long been noted by botanists. These seeds are numerous (more than 40 for each valve), more or less ovoid, and measure between 0.8 and 1.2mm.
Les graines de E. foleyi sont petites et nettement bisériées.
The seeds of E. foleyi are small and distinctly biseriate.
Les graines de E. aurea sont très différentes de celles de E. pinnatifida. Il y a moins de 20 graines par valve ; les graines ne sont pas ovoïdes, mais plus ou moins aplaties, lenticulaires, et cernées d'une petite aile. Elles mesurent entre 1.5 et 2.0mm.
The seeds of E. aurea are very different from those of E. pinnatifida. There are less than 20 seeds per valve ; the seeds are not ovoid, but more or less flattened, lenticular, and surrounded by a small wing. They measure between 1.5 and 2.0mm.
La comparaison morphologique vient donc confirmer ce que l'étude des populations d'Eruca de l'Est marocain avait mis en évidence :
- il y a bien 4 taxons qui s'étagent du Nord au Sud
- ces taxons sont morphologiquement bien caractérisés et doivent être traités comme des espèces
- Eruca pinnatifida et Eruca foleyi sont très nettement caractérisées.
- Eruca aurea est très différente morphologiquement (et écologiquement) de E. pinnatifida et ne peut en aucun cas lui être subordonnée.
- Eruca aurea par son port et ses siliques se rapprocherait plutôt de E. longirostris même si leurs écologies sont très différentes. S'agit-il d'une simple convergence ou cela traduit-il une proximité phylogénétique, à ce stade il est impossible de le dire, car -à notre connaissance- ce taxon qui n'était pas reconnu par les flores, n'a pas encore été pris en compte dans les études génétiques déjà réalisées.
The morphological comparison therefore confirms what the study of the populations of Eruca in eastern Morocco had shown :
- there are indeed 4 taxa that range from North to South
- these taxa are morphologically well characterized and should be treated as species
- Eruca pinnatifida and Eruca foleyi are very clearly characterized.
- Eruca aurea is morphologically (and ecologically) very different from E. pinnatifida and cannot be subordinate to it in any way.
- Eruca aurea by its habit and its pods would rather approach E. longirostris although their ecologies are very different. Is it a simple convergence or does it express a phylogenetic proximity, at this stage it is impossible to say, because - to our knowledge - this taxon which was not recognized by the flora, was not taken into account in genetic studies already carried out.