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Matériaux pour la Flore du Sahara  : le genre Tamarix

Un dossier rassemblé par Claude Lemmel avec des photographies de Zahora Attioui/atlas-sahara.org et Abdelmonaim Homrani Bakali/teline.fr et une clef de détermination dessinée par Annie Garcin.


Les tamaris sont des arbres ou des arbustes bien répandus dans le Nord de l'Afrique et dans le Sahara.

Carte des tamaris inventoriés dans l'African Plant Database en 2020. Les tamaris sont bien plus répandus que le suggère la carte, en bord de mer, au long des oueds ou autour des chotts. Il faut croire que ce genre ne motive pas beaucoup les botanistes ou alors que ceux-ci ne relèvent que rarement des arbres qu'ils ont du mal à identifier en dehors de la période de floraison.

1. Les tamaris dans les paysages sahariens : l'exemple du Tafilalet

Les zones surchargées en vert sont celles qui abritent des tamariçaies plus ou moins denses. Ces zones correspondent aux lits des oueds et à leurs zones d'épandage. Les oasis ont été implantées dans les zones les plus favorables ; on y trouve des Grands Tamaris, Tamarix aphylla, comme arbres d'ombrage ou, plantés autrefois en alignement pour la récolte des galles à tanin. Les tamaris arbustifs, notamment T. gallica et T. boveana, sont présents au bord des séguias ou sur les talus. Les ripisylves des oueds, lorsqu'elles existent, sont surtout constituées par T. aphylla, T. gallica, T. africana et T. boveana. Les zones d'épandage les plus salées sont le domaine de prédilection de T. amplexicaulis. Tous ces tamaris ont une grande aire de répartition et des populations importantes dans le Tafilalet.
Les cinq zones rouges numérotées sont illustrées ci-dessous par des photos de paysage.
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1.1. Le lac Zelmou

Le lac Zelmou est un lac de barrage. L'eau en est salée ; ce lac n'est pas utilisé pour l'irrigation ; son niveau reste constant et des grandes tamariçaies se sont développées sur ses berges.
20200101 Lac de barrage sur l'oued Zelmou gps : 32.1312,-2.8871 altitude : 878m.
Les zones que nous avons explorées étaient composées exclusivement de Tamarix gallica ; mais on ne peut pas exclure que d'autres espèces soient présentes localement. Cette tamariçaie est pâturée par des troupeaux de dromadaires.
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1.2. Confluence des oueds Guir, Bouanane et Zelmou

Les trois oueds Guir, Bouanane et Zelmou drainent l'extrémité orientale du Haut-Atlas au Maroc. Ils confluent peu avant la frontière avec l'Algérie et vont alimenter le très grand lac de barrage de Djorf Torba à l'ouest de Béchar.
20180512 Rives de l'oued Bouanane gps : 31.984785,-3.094516 altitude : 829m. Les berges de l'oued sont couvertes par une ripisylve plus ou moins haute où domine Tamarix gallica. Le lit de l'oued est colonisé par des repousses de T. gallica qui sont balayées à chaque crue.
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1.3. Le «lac» de Merzouga

Ce «lac» est en fait un chott où s'épandent les eaux de l'oued Ziz lors des rares années avec des crues exceptionnelles. La variété des milieux entre le lit du Ziz et les berges du lac crée des zones localement favorables à T. aphylla, T. gallica, T. boveana ou T. amplexicaulis.
20190208 Le «lac» de Merzouga gps : 31.0896,-4.0550 altitude : 701m.
Comment les flamants roses qui fréquentent habituellement les lagunes maritimes sont-ils informés qu'un lac s'est formé à plus de 500km à l'intérieur du Sahara ? Mystère !
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1.4. Confluence de l'oued Begaa avec l'oued Ziz

Au Sud de Merzouga on entre vraiment en zone saharienne, avec des oueds qui ne sont plus aménagés sur le plan hydraulique et qui peuvent rester plusieurs années d'affilée sans couler. L'oued Ziz a une nappe d'infero-flux salée qui supporte des populations plus ou moins denses de T. amplexicaulis (zones surchargées en jaune). L'oued Begaa a une nappe d'infero-flux d'eau douce favorable à T. aphylla (zones surchargées en vert).
20210323 Bordure du chott de Taous gps : 30.9422,-3.9751 altitude : 681m.
Les vieux pieds de Tamarix amplexicaulis (comme ceux de T. aphylla) accumulent le sable et finissent par se retrouver sur une butte.
20190424 Oued Begaa gps :30.9293,-3.9740 altitude : 677m.
Un beau pied de Tamarix aphylla colonisé par des cistanches jaunes.
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1.5. Oued Daoura

L'oued Daoura nait de la confluence des oueds Ziz, Gheris et Mharech. Son infero-flux est modérement salé.
20201227 L'oued Daoura au Sud de Ramlia gps : 30.6828,-4.4403 altitude : 625m.
Le lit de l'oued est bordé de fourrés denses de T. gallica, T. aphylla et T. amplexicaulis.
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2. Comment déterminer les espèces ?

Dans sa Flore du Sahara Paul Ozenda écrit  :
"L'étude du genre Tamarix est extrèmement difficile. Les diverses espèces se ressemblent beaucoup entre elles et sont très polymorphes  ; les caractères distinctifs invoqués sont souvent de simples détails ... et beaucoup de ces caractères paraissent inconsistants..."

Les auteurs de la Flore pratique du Maroc sont tout aussi prudents  :
"Genre très difficile vu la très grande variabilité des caractères morphologiques des espèces. Plusieurs parmi celles décrites jusqu'à présent ne méritent pas vraiment ce rang. La clé suivante ... exige d'avoir des échantillons fleuris".

Et la publication la plus récente sur ce genre (BIHAOUI & al., 2020a) s'intitule "Les erreurs d’identification des espèces du genre Tamarix L. au Maroc : clés non uniformes et espèces polymorphes."

La détermination des tamaris du Sahara est donc compliquée à partir des clefs existantes. D'un côté ces clefs exigent d'avoir des échantillons avec fleurs ET fruits, ce qui est rarement possible. De l'autre ces clefs ignorent des caractéristiques faciles à observer sur le terrain, par exemple le port ou la couleur. Enfin -à l'exception de Tamarix aphylla- les caractères basés sur les feuilles sont délicats à utiliser car la forme et la dimension des feuilles peuvent varier d'une branche à l'autre d'un même arbuste, et plus encore d'une saison à l'autre.

20170404 Aoufous gps :31.5653,-4.1895 altitude :843m.
Ce n'est pas toujours compliqué de déterminer les tamaris. En haut T. boveana, en bas T. gallica, déterminables au premier coup d'oeil en période de floraison.
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Notre travail photographique de 2015 à 2021 nous a montré qu'il était possible de reconnaitre les tamaris sur le terrain et qu'il devait être réalisable d'en donner des descriptions photographiques précises et des clefs de détermination à toutes les saisons.

20210323 Taous gps :30.9422,-3.9751 altitude : 681m.
Zahora Attioui faisant une macro-photographie d'un rameau prélevé sur un pied de Tamarix amplexicaulis.
La photo permet de compter les 10 étamines et les 3 stigmates. Elle permet de voir la forme et les dimensions relatives des bractées, des sépales et des pétales.

Nous avons bien avancé ce travail pour le Maroc et la Mauritanie et nous sommes ouverts à des collaborations avec des collègues des autres pays pour l'étendre à tout le Sahara.

20180525 Kadoussa gps :32.1737,-3.7882 altitude : 1109m.
Deux rameaux cueillis sur deux pieds de tamaris poussant côte à côte mais d'aspect différent. Les dimensions des feuilles sont sensiblement les mêmes et les clefs existantes ne permettent pas de départager ces taxons, par contre les clefs photographiques devront le permettre.
A droite, feuilles vert-vif, brillantes : Tamarix africana.
A gauche, feuilles vert-mat avec de nombreuses ponctuations : Tamarix gallica.
Deux rameaux défleuris prélevés sur les mêmes pieds.
A droite T. africana, un espèce précoce dont les chatons de fleurs sont apparus en février-mars sur les vieux bois de l'année passée ; en mai les fruits sont déjà tombés et il ne reste que l'axe du chaton et les bractées persistantes.
A gauche T. gallica qui n'a fleuri puis fructifié que plus tardivement, sur les jeunes rameaux de l'année en cours.
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3. Causes des variations morphologiques

La variabilité morphologique des tamaris a causé bien des soucis à des générations de botanistes, et ceci pour de multiples raisons :

  • vouloir décrire et nommer tous les exsiccatas en tenant compte de toutes les variations de détail a conduit à créer un nombre considérables de taxons dont Ozenda devait dire avec une prudente sévérité "On ne peut pas assurer a priori que toutes ces espèces soient sans valeur, mais on peut encore moins en l'état actuel des connaissances assurer qu'elles en ont une."

  • du point de la taxonomie ou de la biogéographie, il faudrait réussir à se limiter aux taxons génétiquement fixés. Mais comment savoir ?

  • du point de vue de l'écologie, des variations phénotypiques, liées aux conditions du milieux, peuvent être intéressantes. Ce serait très utile par exemple si on pouvait corréler telle variation d'une espèce de tamaris au degré de salinité du sol dans lequel il pousse.

  • il est possible de trouver des pieds de tamaris qui sont très différents mais appartiennent à la même espèce. cf T. pauciovulata & T. balansae.

  • inversement, il est possible de trouver des tamaris qui se ressemblent beaucoup mais qui n'appartiennent pas à la même espèce. cf T. gallica & T. canariensis

Essayons maintenant d'illustrer notre propos !

3.1 > Position dans le rameau

20190507 BeniTadjite gps : 32.2845,-3.4525 altitude : 1093m.
Une branche «folle» de T. gallica. Les rameaux sont tous différents, avec des bractées et des feuilles de tailles différentes. Lors d'une collecte ou d'une photo, ce genre de branche doit être écarté. Il faut chercher au contraire des branches les plus régulières possibles ; en pratique l'ideal est de choisir une branche avec des rameaux de l'année, qui n'ont pas souffert des aléas du climat et n'ont pas été attaqués par des animaux.
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3.2 > Stress climatique

Les tamaris arbustifs sahariens poussent dans des sols très variables : ils peuvent subir de très longues périodes hyper-arides, puis lors des crues des oueds ou des chotts avoir leurs racines noyées pendant des jours ou des semaines. Ils peuvent pousser dans des sols délavés, avec une salinité faible ou nulle, ou au contraire prospérer dans des sols saturés en sels.

Plusieurs espèces de tamaris ont des feuilles ponctuées de stomates profondes qui peuvent exsuder l'excédent de sel. La couche de sel peut être présente ou absente selon les saisons, pulvérulente ou cristalline.

T. amplexicaulis - 20160110 Merzouga - les feuilles sont enrobées dans une couche pulvérulente.
T. amplexicaulis - 20191205 PN du Banc d'Arguin - le sel apparait sous la forme de petits cristaux à l'embouchure de certaines stomates ou sous la forme de gros cristaux cubiques ici et là.

Il est vraisemblable que la morphologie des feuilles répond au moins en partie à la nature de la sève ascendante qu'elles ont reçue, de douce et abondante à rare et saturée en sel.

3.3 > Réaction au broutage

Les tamaris sont activement broutés par les ânes et les dromadaires ; cela se traduit par des changements structuraux et morphologiques importants sur les rameaux, comme c'est le cas pour bien d'autres espèces des milieux arides (oliviers, arganiers, sumacs, globulaires, ...)

20210323 Taous gps : 30.9422,-3.9751 altitude : 681m.
Un jeune rameau bien régulier de T. amplexicaulis.
Dans la même station, un rameau très déformé qui a repoussé après broutage de la branche par un dromadaire.